La parole des « vieux »


Constat : curieux phénomène, c’est l’accompagnateur du « vieux » que l’on entend, que l’on écoute, qui parle à sa place. Sa parole est « tue » elle a perdu sa musique…

Aidants familiaux ou professionnels sont devenus les interlocuteurs des médecins, des responsables, des visiteurs…

Privés de « Dire », les anciens qui parcourent eux aussi un chemin inédit et singulier ne peuvent témoigner de leur présence, de leurs affects de leurs joies ou de leurs douleurs.

Le vieux n’est plus une personne vivante, il est dans un désert de rencontre il est devenu un « objet de soins ». Les échanges que l’on peut avoir avec lui n’ont plus de résonance humaine pour les adultes en charge. Il n’est plus stimulé, attendu « à dire » quelque chose qui toucherait à un sens.  Il n’est plus appelé à l’échange, c’est-à-dire à la vie.

Il est urgent de lui rendre une voix, de lui reconnaître voix au chapitre, sinon c’est une séquestration en solitude et déréliction qui lui est proposée.

On lui renvoie une image de lui-même qui s’apparente à l’« insensé », au « fou » à l’égaré, à l’inutile.

(Que faisons-nous des trésors) La Société se prive ainsi de la richesse de son expérience de la vie (A) de l’originalité de sa perception, de l’histoire pleine de bruits et de silences qu’il a menée longuement.

« Que reste-t-il de nos amours » dit la chanson, que reste-t-il de ce récit de l’aventure multiforme et porteuse d’enseignements d’une longue vie humaine ?

Porte-voix de tous les âges, ils pourraient témoigner, dire, élever la voix, une voix audible, une voix de vieux neuve, inspirée, qui nous ouvrirait à des exemples humains. Le vieux est une personne au bout d’une aventure singulière qui a duré. Est-il trop encombrant, trop répétitif, un « petit vieux » ? Il doit garder le silence, ce qu’il aimerait dire, ce dont il voudrait se mêler, témoigner est en trop dans un paysage déjà prêt à disparaître. Il est près de mourir sans passer le flambeau d’une parole. Il râle, il ne sait plus parler, l’air lui manque. De quoi était-il porteur, de quoi était-il « gros » ? En gestation de sa mort ? où sera passé son regard affiné, observateur privilégié, disponible et attendri de découvrir en son temps les beautés de la nature, le sourire d’un petit enfant, la valeur d’une caresse. Ses possibilités de s’émerveiller des bêtises d’un enfant comme Victor Hugo le dit si bien… Il a su rire et encourager les essais attendrissants de créer leurs vies des tous petits ; Il a roulé sa bosse et il est encore capable de nous en montrer la trace.

Écoutons-le, cheminons parfois aussi avec lui hors de nos tracés vertigineux du futur, son trajet peut nous éclairer et il a une valeur toujours impressionnante d’humanité, arrivée au bout des choses…

Écoutons-le, relater sa vie de « chien », peut-être, mais une vie assumée, un trait une histoire vraie…

Notre expérience des « groupes de paroles », groupes de rencontres informelles mais régulières, nous montrent à quel point entre vieux la parole est riche et que ces échanges « font vibrer »

De nombreux témoignages des participants à ces groupes affirment l’importance de ces réunions, à quel point ces rencontres régulières leur manquent, dans leur vie quotidienne, ces moments de paroles et d’écoutes mutuelles. Certains en ces temps récents de grève, de manifestations ou de confinement nous disent que « c’est leur vie » qui tient grâce à ces moments. Riches d’expériences, de rires partagés, d’affections nouvelles, d’amitiés fortes, donnons l’occasion à d’autres « anciens » de temps de partage, du retour vers un soi intègre et « toujours déjà » vivant.

Ces groupes de parole ne sont pas que des moments agréables ils sont nécessaires à une vraie vie : une vie centrée sur ce qui est essentiel

Pour finir j’aimerais dire que je suis choquée que dans les Commissions organisées pour parler des questions de « vieux », des politiques qui les concernent tant dans leur présent que dans leur avenir- ils ne soient pas invités ! Ils ne participent pas. Une évolution en ce sens, voulant qu’ils y aient une réelle part me parait essentielle. Grâce à cela peut être ne seront-ils plus traités comme des « objets de soins » mais comme des « personnes entières » qui –au même titre que tous les adultes- sont inscrites dans des relations pleines de sens et vitales pour eux et pour la société.

Docteur Marie-Françoise Fuchs
Présidente d’honneur de OLD’UP, Fondatrice

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FIAPA 11 avril 2020
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Concertation : « AVEC NOUS », LES VIEUX.